Aujourd’hui, la France célèbre les 80 ans du débarquement allié en Normandie. Il y a 10 ans, je rencontrais par hasard, à 10 000 mètres d’altitude, un homme qui avait fait partie de l’aventure. Je l’ai écouté, j’ai tout oublié, et puis j’ai enquêté — et je n’ai pas été déçue.
Une rencontre de haut vol
Avril 2014. Je suis dans l’avion entre Malaga et Paris. L’homme assis à côté de moi feuillette une revue d’anciens combattants français. Je n’hésite pas longtemps avant de l’interroger.
« Oui Mademoiselle, j’ai combattu. » L’homme se livre volontiers. En quelques minutes, il me dit tout : le général Leclerc ; les plages de Normandie, où il se jette sous un char pour échapper aux tirs ; la libération de Paris ; l’Alsace, où il entre dans une maison de campagne à l’âtre encore fumant, un exemplaire de Mein Kampf trônant sur la table du salon ; la résidence secondaire d’Hitler à Berchtesgaden. Je n’en reviens pas.
« Je me suis engagé à 16 ans, ajoute-t-il, et j’ai pu le faire grâce à de Gaulle. Vous savez, le Général était de la famille… » L’homme sort alors une petite photo de son portefeuille. Un adolescent se tient à côté du Général. « C’est moi ! », me montre-t-il fièrement. « Je vis aujourd’hui près de Malaga. Voici mon adresse. Faites-moi signe si vous revenez dans la région. »
L'oubli et le sursaut
Je suis sidérée par cette rencontre fortuite, et pourtant je n’en fais rien. Pire : je perds le bout d’enveloppe où il m’avait griffonné ses coordonnées.
2022 : je suis généalogiste et je veux savoir. Qui était-il ? Je ne sais plus son nom, les lieux de ses combats sont flous — je me souviens de la Normandie, de l’Alsace et de la photo. Et puis de l’Afrique du Nord, mais où exactement ? Et puis, est-il encore vivant ? Alors, j’enquête.
J’interroge les moteurs de recherche, les listes de Français en Espagne, la généalogie de De Gaulle, les forums. Je me passionne pour la Résistance. Je retrace les combats de Normandie, recoupe les noms des annuaires d’anciens, explore les chroniques de régiments. Et le voilà, mon homme : Étienne Maillot.
Étienne Maillot, l'engagement au corps
Étienne est originaire de Lille. Son père est le cousin du Général ; Jules Maillot, le grand-père d’Étienne, est en effet le frère de Jeanne Maillot, la mère de Charles de Gaulle. Un peu plus âgé que Maurice, Charles est considéré comme un oncle.
En 1943, Étienne étudie au lycée Gouraud, à Rabat. Il est scout. Sa mère a installé un foyer à Rabat pour les permissionnaires, dans l’ancien cercle des fonctionnaires, à côté de la cathédrale — « la famille du Soldat ». Il y fréquente des jeunes gens qui lui donnent envie de grossir les rangs.
Le 20 décembre 1943, il subit une visite d’incorporation à la caserne Eudes de Casablanca. Il est déclaré « apte aux chars, mais jeune ».
Étienne raconte :
De Weysmouth à Berchtesgaden
C’est donc le 501e Régiment de Chars de Combat (RCC) ou « Royal Cambouis » qu’Étienne intègre en 1943. Le Mémorial de Montormel en retrace les premières heures : « C’est au Maroc, le 28 août 1943, que le régiment reçoit sa dotation en matériel américain avec des chars M4 Sherman. Avec la toute nouvelle 2e Division blindée du général Leclerc, il rejoint l’Angleterre au printemps 1944 dans l’attente du débarquement. »
De fait, Étienne embarque à Oran fin avril 1944 en direction de l’Angleterre. « Le 1er août, le 501e RCC embarque à Weysmouth et Portland pour une direction connue et espérée de tous : la Normandie ! La traversée de la Manche se passe sans encombres, et, le 3 août vers 2 heures du matin le régiment débarque enfin aux Bancs du Grand Vey. » Pour les hommes du 501e RCC, les combats normands s’étendent du 12 au 19 août et le bilan est de 16 tués et de 23 blessés.
L’aventure d’Étienne se poursuit à Paris, puis en Alsace. Le 501e RCC est de toutes les libérations. En avril 1945, il participe à la campagne d’Allemagne à Tegernsee. La 2e DB pénètre le 4 mai 1945 à Berchtesgaden, où se trouve la résidence secondaire d’Hitler. Une photo montre Étienne avec un pistolet pris dans la villa de Göring.
Témoin de la dernière heure
Son périple se termine avec la guerre. Étienne retourne à Rabat. Il se marie, donne naissance à (au moins) 3 beaux enfants, puis s’installe au Sud de l’Espagne. Il témoigne de son histoire, répond à des interviews, assiste à des commémorations, participe au précieux livre de témoignages édité par Pierre Quillet.
Caporal de Ceux de Leclerc, médaillé militaire et croix de guerre 1939-1945, Étienne Maillot reçoit les insignes de chevalier de Légion d’honneur en 2022, à 95 ans.
Étienne vit encore dans sa belle Andalousie. Il aspire à la tranquillité. Je ne peux m’empêcher de lui adresser une pensée émue. Sait-il que la jeune étudiante en histoire est devenue chasseuse de récits de vie ?
Merci aux membres du forum de la 2e DB qui ont largement documenté mon récit en partageant notamment des témoignages d’Étienne et de ses compagnons de combat [accéder au forum].
Sources complémentaires :
- Arbre généalogique de Maurice Maillot sur Généanet [voir en ligne]
- Pierre Quillet, Le Chemin le plus long, 1997
- Association des anciens de la 2e DB, Historique du 501e RCC [lire en ligne]
- Mémorial de Montormel, Focus sur le 501e Régiment de Chars de Combat [lire en ligne]
- La Voie de la 2e DB, blog de la Fondation Maréchal Leclerc de Hauteclocque [voir en ligne]
Les sources des photos sont accessibles en cliquant sur chaque image.
